La stratégie industrielle européenne, moteur de croissance durable et emploi
Publié le 13/04/2023 - CPR Asset ManagementEntre 1995 et fin 2022, la part de la valeur ajoutée de l’industrie dans le PIB de l’Union européenne (hors Royaume-Uni) est passée de plus de 21 % à 19 % et le nombre d’employés dans le secteur industriel européen a fortement chuté, passant de 25 à 17 millions.
L’EUROPE A FAIT FACE À UNE DÉSINDUSTRIALISATION MASSIVE
Entre 1995 et fin 2022, la part de la valeur ajoutée de l’industrie dans le PIB de l’Union européenne (hors Royaume-Uni) est passée de plus de 21 % à 19 % et le nombre d’employés dans le secteur industriel européen a fortement chuté, passant de 25 à 17 millions. Le nombre d’entreprises industrielles en Europe a baissé de près de 10 % sur la période 2005-2021. Néanmoins, il faut noter que plusieurs indicateurs montrent depuis 2017 un changement de tendance dans l’industrie avec un retour de la croissance de l’emploi, une accélération des investissements et une progression de la valeur ajoutée de l’industrie dans le PIB.
Récemment, les inquiétudes au sujet du secteur industriel ont été ravivées par la crise énergétique mais aussi par la loi Inflation Reduction Act adoptée aux États-Unis l’été dernier. Le Baromètre 2023 de Business Europe montre que 90 % des entreprises du panel interrogé estiment que les conditions d’investissement en Europe sont moins favorables qu’il y a 3 ans. Les prix de l’énergie constituent le principal moteur de la détérioration de la compétitivité de l’UE au cours des trois dernières années suivis par la réglementation.
Par ailleurs, il est à craindre que l’Inflation Reduction Act, en offrant des subventions massives aux industriels, n’incite des Européens à développer des infrastructures aux États-Unis plutôt qu’en Europe et remettre en cause la tendance récente à la réindustrialisation. La mise en suspens de plusieurs projets dans le domaine automobile ou la chimie sont des illustrations de ce risque. L’Europe, consciente de ce danger, a ébauché son projet de réponse à l’IRA, intitulé « Industrie à zéro émission », mais les temps de négociation des textes européens sont longs et les divisions entre pays européens ne sont pas négligeables dès que l’on évoque la réforme du cadre des aides d’États ou du marché européen de l’énergie…
L’INDUSTRIE, UNE NOUVELLE PRIORITÉ DES POLITIQUES EUROPÉENNES
L’industrie n’a pas toujours été au cœur des politiques européennes ces dernières décennies mais les choses semblent en train de changer. Récemment, la stratégie industrielle européenne a été intégrée à de nouveaux enjeux comme la double transition énergétique et climatique mais aussi la résilience des chaines de production qui ont été mises à mal par la crise covid puis la guerre en Ukraine. Le parlement européen définit ainsi les objectifs de la politique industrielle actuelle de l’Union : « Elle vise à rendre l’industrie européenne plus compétitive afin qu’elle puisse conserver son rôle de moteur de la croissance durable et de l’emploi en Europe. »
Nous allons nous intéresser ici à deux secteurs industriels en particulier, le numérique et l’énergie, pour voir comment a évolué la vision européenne de ces secteurs et en quoi la politique européenne actuelle peut constituer un soutien à leur développement en Europe.
L’EUROPE ET LE SECTEUR DU NUMÉRIQUE
La 1ère stratégie numérique pour l’Europe date de 2010 et ses priorités portaient sur le développement de l’infrastructure de réseaux européens et l’accès aux biens et services numériques pour le consommateur avec une attention particulière à la protection de leurs droits et notamment de leurs données et donc un contrôle renforcé des instruments numériques. Ce marché unique numérique n’a cessé d’être complété depuis.
La 2ème stratégie qui date de 2020 et qui a été complétée en 2021 a certes des ambitions en matière de normes, de développement des infrastructures et accorde une place importante à la question des données mais elle s’intéresse également au développement des technologies numériques que ce soit l’intelligence artificielle, l’informatique quantique, la 5G, les semi-conducteurs, la cyber sécurité...
La boussole numérique de 2021 présente des objectifs chiffrés à horizon 2030 et ambitionne de porter la capacité de production de semi-conducteurs de l’Europe de 10 % à 20 % du marché mondial, de doubler le nombre de licornes européennes et de développer l’emploi dans le numérique avec 20 millions de professionnels dans le secteur contre 7,8 millions en 2019. La recherche de souveraineté numérique de l’Europe passe aujourd’hui à la fois par le volet juridique, définition de normes et régulation du secteur, mais aussi par le volet industriel avec la recherche et la maitrise des technologies numériques.
Sur le premier volet, des projets de législation importants ont été adoptés en 2018 avec le RGPD (Règlement général pour la protection des données), en 2022 avec le règlement sur les services numériques (Digital Services Act) pour réguler les contenus en ligne et le règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act) pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles et renforcer la liberté de choix des consommateurs.
Sur le volet industriel, la Commission s’appuie sur le concept des « alliances industrielles » qui constituent des partenariats public-privé regroupant des entreprises, des organismes de recherche, des financiers et les pouvoirs publics dans des domaines stratégiques.
Il existe aujourd’hui de nombreuses alliances industrielles au niveau européen dont celle sur les batteries qui date de 2017, celle sur l’hydrogène (2020) et enfin celles pour les données industrielles, en périphérie et sur le cloud et l’autre pour les semi-conducteurs constituées en 2021.
Côté financement, des efforts importants ont été réalisés au travers du budget européen (7,5 Mds € dans le programme Europe numérique 2021-2027) et d’Horizon Europe (5,5 Mds € pour l’innovation et la recherche) mais surtout dans le plan de relance Next Generation EU où 20 % de la facilité pour la reprise et la résilience soit 127 Mds € doivent financer des programmes numériques.
Le Chips Act ou paquet pour les semi-conducteurs de 2022 prévoit d’augmenter de 15 Mds € les fonds pour le développement de l’industrie des semi-conducteurs. Au total, plus de 43 Mds € d’investissements consacrés au secteur des semi-conducteurs sont prévus jusqu’en 2030 et cette enveloppe sera complétée par des investissements privés à long terme d’un montant globalement équivalent.
Plus récemment en réponse à l’IRA, la Commission a annoncé son plan « Industrie à zéro émission » qui vise notamment à simplifier le cadre administratif et réglementaire européen et à permettre aux États membres d’accorder des financements aux secteurs à risque de délocalisation en assouplissant le cadre sur les aides d’État.
LES PROJETS DANS LE SECTEUR DE L’ÉNERGIE
Le secteur de l’énergie est un bon exemple des multiples enjeux industriels auxquels l’Europe doit faire face. Tout d’abord, c’est un domaine où l’Europe est devenue de plus en plus dépendante du reste du monde. En effet, l’Europe est une zone importatrice d’énergie et cette tendance s’est renforcée récemment avec la baisse de la production d’énergie d’origine nucléaire et le renchérissement des importations de gaz.
Ensuite, c’est un secteur qui est responsable de près de 40 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne et qui est donc clé pour la transition climatique. Enfin, les coûts de l’énergie sont substantiellement plus élevés en Europe que dans le reste du monde industriel et cela nuit à la compétitivité des entreprises industrielles en Europe. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les entreprises industrielles européennes faisaient face à des coûts de l’électricité deux fois plus élevés que leurs homologues américaines en 2021. Les données officielles pour les entreprises chinoises ne sont pas disponibles mais l’on estime qu’elles faisaient face à des coûts proches des entreprises américaines. La question énergétique est donc centrale pour les entreprises industrielles européennes.
La politique énergétique européenne RePower EU annoncée en 2021, vise à répondre à l’ensemble de ces enjeux au travers de développement de projets dans les énergies renouvelables et le nucléaire, à la diversification des approvisionnements en gaz et enfin à la lutte contre les prix élevés via des actions sur la demande, la mise en place de mécanismes de marché nouveaux et le développement de l’offre. L’innovation est aussi mise en avant pour développer de nouvelles filières autour des batteries et de l’hydrogène avec le développement d’alliances industrielles dans ces domaines.
RePower EU devrait conduire à 210 Mds € d’investissements d’ici 2027 dont près de la moitié pour des mesures d’économie d’énergie (efficacité énergétique, pompes à chaleur), 86 Mds € pour le développement des énergies renouvelables et le reste pour le réseau énergétique européen et la filière de l’hydrogène.
La longue phase de désindustrialisation industrielle de l’Europe semble être arrivée à son terme et le soutien à l’industrie est devenue une nouvelle priorité des politiques européennes. L’Europe a pris la voie d’une « Autonomie stratégique ouverte » qui conjugue la maîtrise des nouvelles technologies notamment dans le numérique, la résilience des chaines d’approvisionnement comme nous l’avons vu dans le secteur énergétique ou dans les semiconducteurs et l’accompagnement à la transition climatique. La rapidité de sa réponse commune sera clé pour faire face à la compétition mondiale.