ESG et régulation des marchés : 50 nuances de vert !

Publié le 24/11/2022 - Jean-François Bay
L'ESMA, Autorité européenne des marchés financiers, vient de publier un rapport sur sa stratégie pour les années à venir et ses priorités. Dans ce rapport, elle modifie ses priorités stratégiques pour inclure les informations ESG en plus de la qualité des données de marché. Cette nouvelle priorité sur l’ESG remplace les coûts et la performance des produits d'investissement et représente donc une étape importante dans la mise en œuvre de la stratégie de l'ESMA, qui accorde un rôle de premier plan à la finance durable.
  1. Nouvel environnement, nouvelle régulation

L'ESMA, Autorité européenne des marchés financiers, l'autorité de régulation et de surveillance des marchés financiers au sein de l'UE, vient de publier un rapport sur sa stratégie pour les années à venir et ses priorités. Dans ce rapport, elle modifie ses priorités stratégiques pour inclure les informations ESG en plus de la qualité des données de marché.

En effet, cette évolution reflète l'évolution de l’environnement dans lequel opère le régulateur. Cette nouvelle stratégie tient compte également des principales priorités du l'Union européenne (UE) dans le domaine des services financiers et vise à faire face aux risques les plus importants liés à l'UE Marchés financiers. Il est structuré autour des domaines suivants :

3 priorités stratégiques qui restent cœur :

  • Des marchés financiers efficaces et stables ;
  • Une supervision et convergence prudentielle ;
  • La protection des investisseurs particuliers ;

2 nouvelles thématiques qui finalement se rejoignent :

  • L’innovation technologique et l’utilisation accrue des données ;
  • Et finalement l’importance de la finance durable

 

  1. L’ESG : Un rôle de premier plan pour la finance durable

Compte tenu de la demande élevée et croissante de fourniture de produits ESG, l'ESMA renforcera encore ses évaluations des tendances, des risques et des vulnérabilités qui peuvent avoir un impact important sur marchés, à commencer par le greenwashing et les risques de transition.

Alors que l'intégration des facteurs ESG s'est concentrée initialement sur les aspects environnementaux et climatiques, l'ESMA accorder progressivement plus d'attention à l'intégration des facteurs sociaux et de gouvernance dans ses activités, qu’il s’agisse par le développement du règlement unique ou coordonner une supervision efficace.

Consciente que la mise en œuvre et la supervision du règlement sont complexes et posent des défis non seulement aux acteurs des marchés financiers mais aussi aux régulateurs eux-mêmes, l’ESMA et les régulateurs locaux vont commencer par renforcer leurs capacités sur les questions de durabilité.

La finance durable étant encore un domaine naissant et divers, il y a une réelle opportunité pour l'ESMA d'introduire des normes de surveillance communes.

  1. En parallèle, la lutte contre le GreenWashing

La lutte contre le GreenWashing est particulièrement importante car cela donne lieu à un préjudice potentiel pour les investisseurs qui souhaitent allouer des ressources à des investissements durables. Le GreenWashing est le domaine où les concepts, les définitions et les pratiques doivent être harmonisées dans l'ensemble de l'UE, fourniture de conseils de mise en œuvre pour divers marchés segments et en fixant des attentes prudentielles claires.

Ces évolutions vers une finance durable est également une opportunité pour revoir les domaines où l'ESMA est prête à assumer d'éventuels nouveaux mandats de surveillance, en accord avec les colégislateurs :

  • les obligations vertes ou GreenBonds
  • les fournisseurs de notations ESG
  • les agences de ratings
  • les guidelines sur les benchmarks

 

Les agences de notation ESG sur les entreprises semblent être dans le radar de Bruxelles et la Commission européenne souhaite se pencher sur un projet de texte législatif pour réguler ces acteurs.

  1. Des données ESG sur les émetteurs très hétérogènes et en forte augmentation

Le paradoxe de la situation actuelle est que plus la réglementation sur la finance durable se renforce et évolue, plus les besoins en données ESG et analyses au niveau des émetteurs et des fonds pour les sociétés de gestion ou pour les distributeurs augmentent. Selon une étude d’Optimas, les coûts en données ESG sont passées de 200 millions de dollars en 2014 à plus de 600 millions en 2019 et ont approché le milliard d’euros en 2021 ! On le voit, la publication des données ESG par les entreprises et par les fonds imposée par la réglementation a fait exploser les coûts.

En ce qui concerne les sociétés cotées, on estime le périmètre à 50.000 entreprises qui rapportent plusieurs centaines de données pour chacune, soit 25 millions de données par an au minimum. De la même façon, en considérant qu’il existe 150 000 fonds en Europe qui, dans les fichiers EET doivent rapporter plus de 500 points de données, on arrive à 75 millions de données supplémentaires à collecter régulièrement, en mensuel, donc près de 1 milliard de données ESG à collecter sur l’année !

En ce qui concerne les données ESG sur les émetteurs, dans leur cartographie, les régulateurs comme l’ESMA ou l’AMF (Autorité des marchés financiers) distinguent quatre catégories d'acteurs :

  • les diffuseurs de données de marché (Bloomberg, MSCI, Deutsche Börse…),
  • les agences de notation financière (Moody's, S&P…)
  • les start-up technologiques (Corporatings, CSRHub…)
  • les sociétés d'audit et de conseil.

L'AMF appelle notamment à mieux identifier et gérer les conflits d'intérêts potentiels, surtout lorsque les agences proposent des prestations aux sociétés évaluées. L’autre point mis en avant par beaucoup de professionnels : Le marché est concentré autour de quelques acteurs anglo-Saxons non européens alors que l’Europe était en avance sur ces sujets.

La troisième critique en ce qui concerne les données ESG sur les émetteurs porte sur les divergences de notes pour une même entreprise, selon les agences. Les études académiques publiées ces dernières années « concluent à la faible convergence des notations extra-financières », note l'AMF. La couverture, la qualité des données et les méthodologies utilisées sont très hétérogènes. La standardisation des données ESG grâce à la taxonomie et à l’arrivée de CSRD (Directive européenne en vue de la standardisation des données extra-financières publiées par les entreprises) va permettre de réduire la dépendance des investisseurs et des sociétés de gestion vis-à-vis des différents fournisseurs et devrait diminuer les coûts.

La Corporate Sustainability Reporting Directive ou CSRD

(source : Mazars)

L’entrée en application de CSRD est prévue en 2024. Les entreprises concernées devront donc publier leur premier rapport CSRD en 2024 avec les informations de l’exercice 2023 et sur base des standards dont la publication est effective depuis le 10 novembre 2022.

 

 

  1. Un besoin de clarification sur les fonds également

Pour l’industrie de la gestion, il y a également un besoin crucial de clarification de SFDR (règlement européen « Sustainable Finance Disclosure Regulation) sur la publication d'informations en matière de durabilité. Cette réglementation spécifique aux fonds d’investissement prépare pour janvier prochain une nouvelle mouture de niveau 2.

L'objectif de la Commission européenne est d'apporter une plus grande transparence sur les produits financiers proposés par les sociétés de gestion à leurs clients. Rappelons en plus qu’en parallèle l'évolution de la Directive européenne Mifid II rend obligatoire la collecte des préférences ESG de leurs clients depuis août 2022 !

Le premier volet de SFDR de mars 2021 avait conduit à une vaste classification des fonds européens selon leur implication environnementale ou sociale et faisait office de « Label ISR » pour les sociétés de gestion. Mais la Commission européenne juge déjà cette nouvelle version « SFDR V2.0 » comme perfectible et a déclaré : « SFDR reste un cadre relativement nouveau ». Il est donc appelé à se perfectionner et à l'approche de la fin de l'année les reclassifications se multiplient. Les fonds les mieux notés, qui relèvent de l'article 9, sont largement dégradés aux niveaux inférieurs (article 8, article 6).

Rappelons ici qu’au niveau des fonds, labelliser un fonds ISR par un cabinet d’audit coûte environ 6000 euros par fonds par an, sachant que le tarif est dégressif en fonction du nombre de fonds.

Pourquoi une telle confusion en cette fin d’année 2022 ? Parce qu'il revient à chaque société de gestion d’apprécier la notion de durabilité et donc de classer ses fonds dans chaque article SFDR (6, 8 ou 9).

En effet, en dehors des fonds de private equity récents investis à 100% dans des sociétés non cotées ou des fonds de petites et moyennes entreprises 100% spécialisées dans les activités de solutions durables, très peu de fonds ou ETF sont à ce stade exposés à 100 % aux investissements durables.

 

  1. Par exemple, des recommandations récentes sur l’utilisation de l’acronyme ESG

Cette nouvelle priorité sur l’ESG remplace les coûts et la performance des produits d'investissement et représente donc une étape importante dans la mise en œuvre de la stratégie de l'ESMA, qui accorde un rôle de premier plan à la finance durable.

Par exemple, l'ESMA a présenté récemment des recommandations visant à restreindre la manière dont les fonds d'investissement peuvent utiliser la mention ESG ou investissements durables dans leur libellé.

"Afin de ne pas induire les investisseurs en erreur, l'ESMA estime que les termes liés à l'ESG et à la durabilité dans les noms des fonds doivent être étayés de manière significative par des preuves de caractéristiques ou d'objectifs de durabilité qui sont reflétés de manière juste et cohérente dans les objectifs et la politique d'investissement du fonds, ", a déclaré l’ESMA dans un communiqué.

Dans ses recommandations, l’ESMA donne quelques éléments et l'introduction de seuils quantitatifs pour la proportion minimale d'investissements durables suffisante pour soutenir les termes ESG ou liés à la durabilité dans les noms des fonds :

  • un seuil quantitatif d’investissements durables (80 %) pour l'utilisation de mots liés à l'ESG ;
  • un seuil supplémentaire (50 %) pour l'utilisation du mot « durable » ou de tout terme lié à la durabilité uniquement, dans le cadre du seuil de 80 % ;
  • l’application de garanties minimales à tous les investissements pour les fonds utilisant de telles conditions (critères d'exclusion);
  • des considérations supplémentaires pour des types de fonds spécifiques (fonds indiciels ou à impact).

L'ESMA propose que le projet de lignes directrices devienne applicable à partir de 3 mois après la publication de leur traduction sur le site internet de l'ESMA. En outre, une période transitoire de 6 mois est suggérée pour les fonds lancés avant la date de candidature, afin de se conformer aux lignes directrices.

 

Conclusion :

Ne manquez pas notre table ronde sur l’ESG organisée au Palais Brongniart dans le cadre du Colloque qui se tiendra le 1er décembre prochain. Le thème de la table ronde : « ESG : les clefs pour simplifier l’investissement durable » en partenariat avec Tocqueville Finance. Interviendront notamment :

  • Guillaume Lasserre - Deputy CIO La Banque Postale AM
  • Léah Dahmani - Policy officer, sustainable finance Commission européenne
  • Julien Seraqui - Président de la CNCGP Président de Conseil Capital Plus CNCGP
  • Jean-François Renard - Manager Investment Service Allianz Life
  • Joseph Choueifaty - CEO cofondateur Goodvest

Pour vous inscrire :

https://www.colloqueharvestfidroitquantalys.fr/choix-inscription

 

 

https://www.esma.europa.eu/sites/default/files/library/esma_strategy_2023-2028.pdf

https://www.esma.europa.eu/press-news/esma-news/esma-launches-consultation-guidelines-use-esg-or-sustainability-related-terms

https://www.esma.europa.eu/press-news/esma-news/esma-work-esg-disclosures-new-union-strategic-supervisory-priority

Jean-François Bay , Directeur Général, Développement international.